La montagne ardente (tome 2)

Publié le par diane beausoleil

2ème partie : Lysiane ou le livre des femmes.

 

         Quelqu'un s'approcha de Lysiane:

         "Bonjour. C'est bien vous qu'on appelle Dona Libertad?

         - Qui vous a dit ça?

         - Tout le monde."

         C'était une voix d'homme, rude, qui roulait les R comme des tambours:

         "C'est bien moi, mais ce n'est qu'un pseudonyme, répondit Lysiane, avec un affreux sentiment de culpabilité.

         - J'avais compris. Moi, je m'appelle Alberto Llinares. Je suis secrétaire général du parti socialiste clandestin. C'est complètement fou, ce que vous faites. Vous allez vous faire tuer. Et tout ça pourquoi?"

         Comme chaque fois qu'elle se sentait attaquée par plus fort qu'elle, Lysiane se défendit par une réaction excessive:

         "Pour l'honneur d'un poète assassiné."

         Elle entendit le haussement d'épaules et le rire de l'homme:

         "En voilà, des bêtises! D'abord, il n'a pas été assassiné: il s'est suicidé, et vous le savez très bien. Et puis, il a quand même servi le régime pendant quatorze ans. Les conversions tardives, on sait ce que ça vaut. Avouez-le, ce n'est qu'un prétexte.

         - Disons, une occasion.

         - Et pour ce prétexte, oiseux ou presque, vous lancez tous ces gens dans une aventure qui a toutes les chances de mal tourner, et vous nous gâchez le travail?

         - Le peuple le veut", dit Lysiane.

         Elle se sentait stupide au dernier degré. Le citoyen Llinares explosa:

         "Vous croyez donc à la Révolution populaire? Vous êtes maoïste, ou quoi?"

         Lysiane cria, pour dominer le tumulte ambiant:

         "Je suis anarchiste!"

         Le mot lui fit du bien. Le noeud d'angoisse qui oppressait son coeur céda. Elle se tourna franchement vers son interlocuteur:

         "Ecoutez-moi, dit-elle, moi aussi, je travaille depuis plusieurs années. Ce qui arrive aujourd'hui n'est qu'en partie mon oeuvre. Et même ce peu qui est mon oeuvre me dépasse de loin. Moi aussi, je sens tout ce que ce mouvement a de prématuré et de dangereux. Et pourtant, si tous ces gens se sont levés d'un élan si spontané, c'est sans doute qu'ils étaient prêts, et depuis longtemps. Moi qui vis parmi eux, je sens qu'ils ont raison."

         Alberto Llinares maugréa:

         "Des rêveries de bonne femme, tout ça!"

         Et il s'éloigna à grands pas. Seulement pour se soulager, Lysiane lança dans sa direction:

         "Va donc, idéologue!"

 

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